Pompier

STEVE – SAPEUR POMPIER

A partir de quel moment considérez vous que quelqu’un n’est plus en bonne santé mentale ?

Il faut déjà savoir si les gens sont heureux ou pas. Je suis bien placé pour le savoir, je rencontre tous les jours des gens malheureux ; ils ont des problèmes de fonctionnement dans leur corps mais aussi dans leur tête et alors tout fonctionne mal.

Je pense vraiment que les gens ont des problèmes de santé mentale parce qu’ils sont tout simplement malheureux. Ne pas être en bonne santé mentale c’est une maladie mais l’idée qui consiste à ramener la santé uniquement au mental me gêne ; la santé c’est global par contre c’est peut-être utile au médecin pour faire un diagnostic précis.

De quoi dépend une bonne santé mentale ?


Avoir de bonnes racines comme un chêne bien enraciné et avoir des parents qui eux-mêmes ont en ont eu.

Souvent les gens à problèmes ont eu une enfance ou adolescence difficiles. Il faut une bonne éducation pour se construire, et une culture – peu importe laquelle – ancrée sur des valeurs sûres : une famille, un groupe social ou un processus initiatique.

Une place et une voie vers laquelle aller, des repères. Dans les cités, la plupart des gens sont sans racines et n’ont reçu pratiquement aucune éducation, ils n’ont aucun repère en dehors de l’argent pour acquérir des biens matériels, le reste ils s’en moquent.

Les organisations de bandes ou de gangs c’est faux. Ce sont des « individus » qui se réunissent pour gagner de l’argent le plus vite et le plus possible.

Il n’y a pas d’idéologie derrière ni processus initiatique, ni rattachement au clan ; c’est le néant.

La seule chose qui les réunit c’est la jalousie, l’envie, l’argent. Souvent les sectes viennent s’immiscer dans ce trou béant et proposent tout ce qui manque dans leur vie. C’est du conditionnement et à mon sens c’est aussi une maladie mentale.

Quels sont, selon vous, les problèmes responsables de mauvaise santé mentale les plus importants de notre société ?


La société hyper agressive. On a collé un modèle à tout le monde et on a dit : vous serez heureux en consommant. Peu à peu les gens se rendent compte qu’ils ne sont pas plus heureux.

Quels sont les problèmes spécifiques à votre profession qui peuvent mettre en péril la santé mentale ?

Finalement on est relativement bien protégés. Le fait d’intervenir en urgence protège car il faut suivre protocole précis lors d’une d’intervention.

On fait l’état des lieux, les gestes sont adaptés à la situation. Lorsqu’une situation est très agressive sur le plan émotionnel, je me protège derrière les gestes, la procédure, mais cela jusqu’à un certain point car s’il y a eu agression sur la victime il faut régler les deux problèmes en même temps. L’agresseur et la victime.

Dans l’urgence, on ne se pose pas trop de questions, on est dans l’action mais il y a aussi la réaction quand ce sont des choses très choquantes.

Là, je deviens un peu hagard et il faut vite reprendre ses esprits. Les images restent et elles vont empêcher de dormir. Des flashes, des odeurs des émotions.

J’ai connu des retours d’ambulances pas possibles.

De l’hôpital – où on laisse la victime -, à la caserne, on n’ose plus ouvrir la bouche. Depuis quelque temps on peut demander une aide psychologique à notre hiérarchie quand on se sent mal ; c’est la différence entre l’ancienne et la jeune génération et les anciens.

Un psychiatre peut intervenir très vite. Une fois j’y ai eu recours. On avait travaillé quarante huit heures d’affilée ; le lendemain matin le psychiatre était là.

Quand je discute avec les gens qui ont vingt ans de métier ils disent que ça ne se passait pas comme ça. Ils n’en parlaient qu’à leur femme et à leur entourage.

C’est vrai que le plus dur c’est de se retrouver seul.

Constatez vous des problèmes de souffrances psy ,parmi vos collaborateurs, vos collègues ?

C’est pas un scoop, chez nous il y a beaucoup de pendus.

Tous les pompiers savent que la seule façon de ne pas se rater, c’est la pendaison. On sait faire les nœuds, on sait où et comment s’accrocher.

Des cordes il y en a toujours qui traînent à la caserne. On a tous des difficultés privées ou professionnelles qui se manifestent par de l’agressivité et une hyper sensibilité.

Le fait de vivre en caserne tous ensemble pendant vingt quatre heures provoque des tensions. C’est une chape de plomb de vivre entre hommes car entre hommes on ne montre pas ses états d’âmes, on ne se plaint pas. C’est peut être aussi pour ça qu’il y a beaucoup d’absentéisme chez les pompiers.

Quels sont les “ clignotants “ qui vous alertent ?


Il arrive qu’on ne voit pas des collègues pendant un mois ou deux, parfois plus. C’est plutôt comme ça qu’on se rend compte que ça ne va pas, davantage que par un comportement particulier.

Si ce sont des collègues dont je suis proche, je vais peut être m’en apercevoir sinon c’est impossible et puis il y a ceux que je n’aime pas.

Dans mon cas par exemple, je me renferme sur moi et je ne communique plus beaucoup ou plus du tout ou je ne supporte plus les gens c’est qu’il y a un problème. C’est pour ça que chez nous il y a des gens qui meurent sans que personne n’ait rien perçu.

On savait que qu’untel ou qu’untel avait des problèmes personnels. Il y a cinq ans un collègue s’est pendu et tout le monde s’est rappelé de petits indices auxquels on n’avait pas prêté attention du genre : “ tu te souviens un jour il avait fait ci, il avait dit ça, il s’était battu avec son voisin… » On ne voulait pas se mêler de sa vie privée mais ces indices ne prennent du sens qu’après.

Sur le lieu de travail, les gens jouent plus ou moins leur rôle : chacun sa place, dans la hiérarchie, mais la communication s’en ressent. Dans les moments de regroupement on va décompresser et pas forcément parler de nos problèmes. De temps en temps ça arrive de façon un peu sauvage et inattendu, à la cuisine par exemple on va raconter et on va discuter. J’ai remarqué cela quand on rentre d’opération et que l’on est à table.

Quand on finit une intervention intéressante – un incendie bien éteint ou quand on a l’impression d’avoir été utiles : on a fait notre travail de pompier, on va tout de suite en parler avec les autres.

Un accident de la route demande des compétences techniques – le découpage d’une voiture par exemple – qu’on n’a pas toujours l’occasion de pratiquer ; on est content ; on montre aux autres de quoi on est capable parce que les toubibs sans nous ne pourraient pas bosser. Il y a un gros problème de communication avec eux et je ne sais pas trop pourquoi. Si la victime est complètement “ incarcérée “ dans le véhicule il faut savoir la sortir pour qu’ils travaillent.

Que faudrait-il améliorer ?

Il y aurait beaucoup de choses à changer : pas les hommes car il y a beaucoup de pompiers qui ont choisi ce travail.

Les problèmes viennent de l’organisation, pas de la hiérarchie forcément mais des procédures administratives : par exemple pour la cellule de soutien psy, il faut en parler au chef et ensuite à l’officier de garde puis au chef de groupement qui fait la demande à la préfecture qui appelle le psychiatre.

La base n’est pas écoutée enfin, si on nous écoute, on nous parle mais rien ne se passe, sauf des procédures qui alourdissent le système. Il faudrait des procédures raccourcies. Si on pouvait arrêter de faire des économies de bout de chandelle ou alors le directeur départemental qui gagne soixante cinq mille francs par mois on ne pourrait lui en enlever dix mille ?

Mais non ça ne lui suffit pas, il suit un plan de carrière pour gagner plus.

Pourquoi vouloir gagner plus aux dépends des autres en courant à droite et à gauche.

Si vous étiez en état de grande souffrance psychologique, qui iriez vous voir en priorité ?


Mes proches, ma compagne avant même le médecin.

Quel phénomène de souffrance psy éprouvez vous ?


Quand tu vas au boulot et que ça ne se passe pas bien. On n’a rien à quoi se raccrocher. Ça remet tout en cause, les compétences professionnelles, l’envie de travailler etc..

Mes parents étaient des gens simples et je n’ai pas un ego démesuré. La souffrance pour moi c’est l’absence de reconnaissance professionnelle et l’impression d’être enfermé dans une case “pompier” ; bref, être incompris c’est cela la souffrance : ne pas avoir deplace

Quel est le rôle du psychiatre, du psychologue, du psychanalyste ?


Je ne fais ni ne connais la différence entre psychiatre et psychanalyste mais je n’en attends pas de miracle.

Il faut apprendre aux gens que c’est important d’être écouter y compris pour les jeunes qui ne savent pas que parler à un psy ce n’est pas être fou.

On a peur de quelqu’un qui a un malaise dans la rue. Si le comportement parait anormal, les gens fuient c’est donc au psy d’aller vers les gens et pas le contraire.

Propos recueillis par Nataline Alessandrini-Leroy.