Banquière

JULIETTE – 45 ans
Conseillère financière dans une grande banque


Quand vous entendez l’expression SANTÉ MENTALE, qu’est ce que cela évoque pour vous ?


Il y a une confusion dans le terme mais pour moi les problèmes de santé ce sont les hôpitaux qui les résolvent. La santé mentale c’est, pour moi, la maladie invisible. Si on est en mauvaise santé mentale, cela signifie que l’on a des attitudes négatives dans le comportement de tous les jours, on se replie sur soi, on se laisse aller, on subit, on devient agressif ou encore on ne s’impose plus de défis : on est mal dans sa peau. A contrario, une bonne santé mentale, c’est un bon équilibre, une vie spirituelle positive, bref on est bien dans sa peau.

Quels sont, selon vous, les problèmes les plus importants de notre société responsables de mauvaise santé mentale ?


Le stress de la vie au travail et de la vie quotidienne qui fait que chacun devient, à son corps défendant, de plus en plus individualiste, le chômage. La vraie communication s’étiole, je veux dire, une communication où l’on prend le temps de partager ses doutes, ses interrogations et donc de se ressourcer par l’échange verbal ; le contraire de l’hystérie moderne alimentée par les  » nouvelles technologies  » et les échanges par appareil interposé.
L’absence de valeurs morales ; l’exemple ne vient plus du “haut“ ; on va condamner un jeune qui vole une paire de chaussures, mais les gens du gouvernement qui piquent dans la caisse, personne ne les punit. Aucune idéologie politique ni engagement. La politique actuellement est tellement dévalorisée qu’on ne peut que la ridiculiser. Toutes les injustices à un haut niveau sont cautionnées par le pouvoir au nom de l’argent et des arrangements financiers.
Une société sans aucun repère et trop permissive mais aussi une société de consommation ; la télévision qui oblige les gens à subir un système et à ne plus réfléchir et qui ne véhicule plus des idées mais des images d’annonceurs ; elle fait de nous des automates.

Quels sont les problèmes psychologiques spécifiques à votre profession ? Constatez vous des problèmes de souffrances « psy » parmi vos collaborateurs, vos collègues ; quels sont les “clignotants“ qui vous alertent ? Quels remèdes simples pourrait-on apporter à ces problèmes de souffrance psychologique dans votre milieu professionnel ?


D’abord il y a le pouvoir exercé par la hiérarchie, c’est une source de stress majeur et il existe des conflits interpersonnels importants mais par définition, celle-ci a toujours raison. Les décisions tombent d’en haut et les cadres n’ont plus droit au chapitre concernant la stratégie de l’entreprise et donc de l’organisation de leur propre travail. Les multiples fusions et acquisitions d’entreprises aggravent ce phénomène de dépossession de son propre destin. Même à haut niveau les gens sont devenus des pions. Quant à la direction générale elle n’a d’autre souci que le carriérisme et il y a là aussi des conflits inter-personnels très durs qui ont un coût financier très important pour l’entreprise. C’est sans issue et l’appel aux syndicats ne résout rien.
Cela étant il faut distinguer la population administrative et commerciale mais les deux sources importantes de problèmes psy sont, d’une part, la menace des hold-up qui est une menace récurrente dont on ne parle même plus, mais il faut savoir que certains en ont subi cinq ou six ! Ensuite, les évolutions techniques ou les changements. Certaines personnes ne veulent pas se remettre en cause alors que notre entreprise offre les moyens de s’adapter aux changements par des stages ; certains refusent de s’adapter et sombrent dans la dépression.
Les clignotants ? C’est indubitablement l’absentéisme ; ici, sur un effectif de soixante dix personnes, il y a dix à douze pour cent d’absentéisme ! Il y a des gens qui sont absents pendant des mois et dans quatre-vingts pour cent des cas, tout le monde sait qu’il s’agit de raisons psychologiques. Ensuite le climat délétère dû à une communication non verbale importante et qui se traduit par des regards indifférents et des rumeurs.

La difficulté réside dans le fait que nous n’avons pas de structures qui puisse prendre en charge ces questions. Pour des problèmes physiques, il y a le médecin du travail, pour les problèmes sociaux il y a l’assistante sociale, pour cette question qui est la principale cause d’absentéisme, il n’y a rien.
Restent les consultations chez un psychiatre en ville mais l’image que véhicule celui-ci n’est pas favorable et c’est souvent considéré comme un luxe. La souffrance psy est tabou car la règle de l’entreprise veut que personne ne doit avoir d’états d’âme, peu importe les dégâts sur l’individu “s’il n’est pas solide, qu’il parte“.
Cela étant dit, je ne suis pas sûre que s’il y avait une structure adéquate les gens feraient la démarche car ils n’ont même pas conscience de leur état ou ne savent pas l’exprimer. Ils ressentent cela comme une punition. De plus, la hiérarchie cautionne cette violence psychologique. Finalement, ce sont les organisations syndicales qui pallient cette carence en apportant un soutien moral ; le bureau de la déléguée syndicale est occupé toute la journée mais comme celle-ci n’est pas du tout formée alors elle se contente d’ériger un procès verbal ! Au cours des réunions, si les problèmes matériels sont bien évoqués, le harcèlement moral est toujours passé sous silence. Je pense particulièrement aux commerciaux qui n’atteignent pas leurs objectifs ou qui ont un conflit avec leur chef. A partir de là, il y aura une rumeur qui va circuler pour dénoncer ce harcèlement mais aucune mesure ne sera prise pour arrêter les dégâts. Je pense particulièrement à une chef d’agence notoirement connue pour son sadisme et qui a provoqué des dégâts considérables parmi ses subordonnés, qu’elle s’amuse à traiter comme de véritables esclaves. Par contre, elle a des résultats très supérieurs aux autres agences et personne ne lui dit rien. La direction générale et les syndicats cautionnent ses méthodes alors qu’ils sont parfaitement au courant. Les gens qui se plaignent sont mutés et ça s’arrête là. Quand quelqu’un est absent pour des raisons psy, il n’est plus affecté, donc officiellement il n’y a pas d’absentéisme. Les DRH sont tout à fait au courant mais la politique de l’entreprise prime sur la santé des personnes. C’est le profit avant tout.
Une autre violence morale notamment pour les commerciaux consiste toutes les semaines, à afficher sur un grand tableau les objectifs à réaliser et le nom de tout le monde.

Il y a dix à douze pour cent d’absentéisme ! Il y a des gens qui sont absents pendant des mois et dans quatre-vingts pour cent des cas, tout le monde sait qu’il s’agit de raisons psychologiques.

Je voudrais aussi parler des relations aux clients. Il n’y a plus d’approche globale mais une approche productive. Grâce aux énarques, nous avons à remplir un dossier de marketing identique à celui des impôts. Ce sont des renseignements qui autrefois auraient été considérés comme confidentiels. Si au bout d’un quart d’heure vous avez “soutiré“ au client ces renseignements, et si en plus vous lui avez “vendu“ la carte bleue et un certain nombre de “produits financiers“, vous êtes un très bon professionnel. Les clients ne sont plus que des moules de distribution.
A côté de ça, des sociétés indépendantes constituées d’anciens banquiers “récupèrent“ en plus notre travail. Ces sociétés gèrent des portefeuilles et dégagent des bénéfices colossaux. Les salaires de ces gérants sont indexés sur les résultats et c’est comme ça que nous voyons passer des salaires de trois cent mille francs par mois ! Petit à petit, ce travail qui était autrefois celui des banques se privatise complètement.

Quels pourraient être les remèdes contre ces maux dans notre profession ?

La première chose serait que l’on pourrait revendiquer, c’est la considération pour les individus. Mais dans les écoles de gestion, on apprend que personne n’est indispensable et que si on n’est pas content on va ailleurs ! Pourraient être aussi mis en place des cercles de qualité où les problèmes seraient traités dans une relation égalitaire alors qu’actuellement tout le monde est dans une situation totalement infantile.

Quelle différence faites vous entre la souffrance mentale et la souffrance psychique ?


La souffrance mentale c’est beaucoup plus profond que la souffrance psychique. Le mot mental renforce toujours.

Quel est le rôle du psychiatre, du psychologue, du psychanalyste ?


L’image que j’ai du psychiatre est que c’est le malade qui fait son auto-analyse, le malade n’est pas très actif, un canapé suffit et je ne vois aucune différence entre le psychiatre et le psychanalyste. Mais on peut aussi ajouter que le psychiatre étant médecin il est amené à donner des médicaments, et ce faisant, il devient lui-même le complice et la victime d’un système qui oblige les gens à se droguer pour supporter. Je ne parle pas bien sur des cas graves. Quant au psychanalyste, les soins sont très longs – cinq ans minimum je crois – et très coûteux – soit cent mille francs – et s’adressent à une certaine catégorie de personnes. Pour moi le psychologue est plus efficace, plus pragmatique et plus rapide. Il y a à mon sens un certain snobisme à aller consulter un psychiatre pour de simples problèmes psy.

Si vous étiez en état de grande souffrance psychologique, qui iriez-vous voir en priorité ?


Tout d’abord, je considère que la souffrance au travail ; soit on la supporte soit on réagit et on essaie de s’en sortir par ses propres moyens. Pour une souffrance due à d’autres raisons ? Avant tout, j’essaierais de discuter avec des amis et de voir avec eux ce que je peux faire et c’est en dernier ressort que je consulterais un psy. Mais c’est vraiment le dernier recours quand vous avez épuisé toutes vos forces. C’est d’ailleurs souvent votre entourage qui vous dit d’aller consulter car à ce moment là vous ne vous rendez même plus compte de votre état. De toute façon, un psy à l’inverse d’un cardiologue par exemple, ne donne pas de solutions et ne pose pas de diagnostic donc vous ne pouvez pas avoir un vrai traitement.
Mais, finalement, où se situe une maladie psychique ? C’est peut-être une maladie de l’âme. Peut-être aussi la difficulté réside-t-elle dans le fait que cette maladie met en cause la relation à autrui. Peut-on vraiment soigner ce genre de chose ?

La souffrance psy est tabou car la règle de l’entreprise veut que personne ne doit avoir d’états d’âme, peu importe les dégâts sur l’individu, “s’il n’est pas solide, qu’il parte“.

Propos recueillis par Nataline Alessandrini-Leroy.