Gendarme

ANTOINE – gendarme – chef de brigade

Quand vous entendez l’expression SANTÉ MENTALE qu’est ce que cela évoque pour vous ?
Pour moi, c’est garder une capacité à raisonner intelligemment. Je me sens en bonne santé mentale si je peux m’endormir sans penser à ce que je vois au quotidien car j’ai toujours refusé de prendre des somnifères.

Quels sont les problèmes psychologiques spécifiques à votre profession ?
C’est un métier – que j’adore – mais qui vous bouffe et on s’y investit d’autant plus si l’on est gradé. En fait il faut savoir que tout repose « sur le petit gendarme dans sa petite brigade « .La plupart des gens ne savent pas ce qu’est notre métier. On nous identifie à celui qui verbalise sur le bord de la route parce que l’on n’a pas mis sa ceinture mais en réalité, c’est à peine 10 % de l’activité.
Nous sommes les principaux acteurs de la sécurité et sommes soumis chaque jour à des pressions incessantes : de la part de gens qui ont besoin d’exutoires, des élus – pour qui on n’en fait jamais assez -, de la hiérarchie, car nous sommes des militaires et nous devons rendre des comptes.
Ces pressions journalières, on les gère comme on peut, et finalement relativement bien, mais il y a tout le reste : les interventions sur les questions judiciaires importantes, les braquages, les interpellations à six heures du matin – où on ne sait pas sur qui on va tomber -, le gars qui tape sur sa femme parce qu’il est ivre, les accidents, les interventions en montagne,…Le braquage encore, c’est simple, mais le reste je ne m’y habitue pas. Récupérer des gamins de vingt ans dont la voiture s’est enroulée autour d’un pylône parce qu’ils étaient saouls ; ça crie, il y a du sang partout, des fous qui se cognent à longueur de journées, il faut mettre les gosses à l’abri… des gardes à vue parfois très violentes bref, c’est la misère que je côtoie et à laquelle je ne m’habitue pas.
Les problèmes psychologiques viennent de cette accumulation d’ images et dont j’ai du mal à me défaire ; C’est tellement dur, que par moments, j’ai l’impression de devenir fou. On ne sait plus dans quel monde on vit, on ne sait plus où on en est et quand on est trop fatigués, ça ressort. Parfois, je fais le rapport avec les miens, car je me dis que ça peut arriver aussi aux gens que j’aime. Et si ça leur arrivait, qu’est-ce que je ferais ? Ou qu’est ce que j’aurai pu faire de mieux ? Et même si on a des joies, quand par exemple on retrouve un gamin qui a disparu, 85 à 90 % de ce que je garde en moi est perturbant.

Je n’ai pas peur, mais quand je vais sur une intervention, par exemple de nuit avec un petit jeune – car il n’y a personne d’autre de plus chevronné à la brigade – le risque de mort est plus grand, parce que l’habitude aidant, on fait moins attention. Et comme si on n’était pas assez emmerdés, il faut rendre des comptes à la hiérarchie, c’est normal, mais on aimerait de temps en temps qu’on nous oublie et qu’on nous laisse travailler.

C’est tellement dur par moment que j’ai l’impression que je vais devenir fou..

Dans le boulot, dans l’action on n’y pense pas, mais pendant les périodes de repos il faut s’occuper sinon on pète les boulons. Par ailleurs, nous ne sommes pas formés à l’approche de la violence. A l’école de la gendarmerie, on apprend le métier de gendarme, c’est tout. Depuis vingt ans, je passe des examens pour progresser, mais je n’ai jamais eu de formation psychologique à l’approche du criminel ou du pédophile, et ça nous manque.

Constatez vous des problèmes de souffrances psy parmi vos collaborateurs, vos collègues ; quels sont les “ clignotants “ qui vous alertent ? Quels remèdes simples pourrait-on apporter à ces problèmes de souffrance psychologique dans votre milieu professionnel ?
On dit que le gendarme est le premier serviteur de l’Etat, moi je dis que c’est  » le bon à tout faire « . On vit tous ensemble toute l’année en autarcie, les uns sur les autres. Aussi est-ce relativement simple de voir si quelqu’un ne va pas bien. Par exemple, si un gendarme a un comportement inhabituel au cours d’une patrouille. Parfois c’est la femme qui vient se confier. Cela étant on est relativement démunis. Personnellement je n’ai jamais vu de cas grave autour de moi, mais il y a beaucoup de suicides dans la gendarmerie – comme dans la police – et personne n’en parle. Tout se gère en petits comités et le groupe est finalement protecteur à la condition qu’il y ait dans la brigade un esprit de corps, sinon on coule.
Les psychologues de la gendarmerie n’interviennent que sur les  » gros trucs « . Il y a paraît-il une cellule psychologique, mais je n’ai jamais vu de psychologue à la brigade pour nous aider à digérer tout ça au quotidien.

 

Quels sont, selon vous, les problèmes les plus importants de notre société responsables de mauvaise santé mentale ?


Notre époque est un peu  » dingue  » et en plus je ne vois autour de moi que des gens « déjantés ». Je pense que l’éducation y est pour beaucoup. On a oublié d’inculquer les règles de base à nos enfants. Moi, par moments, je me demande si je ne suis pas hors normes parce que j’essaie d’éduquer mes enfants à « l’ancienne » et je constate que finalement tout le monde s’en fout. Pour régler les problèmes, on compte sur les services sociaux ou la gendarmerie, et c’est vrai que nous faisons de plus en plus d’interventions sur des problèmes de violences conjugales et familiales.

Si vous étiez en état de grande souffrance psychologique, qui iriez vous voir en priorité ?


Sûrement pas ma femme que je veux préserver. Quelqu’un que je connais, en qui j’ai confiance et que j’aime. Quand j’allais pas bien, le première personne à qui j’en ai parlé, c’est à ma sœur qui est psychologue. Après, je suis allé voir un psychiatre, mais je suis resté sur ma faim. D’abord, il ne connaissait rien à mon métier, et j’ai parlé tout seul pendant vingt cinq séances. J’attendais autre chose, un dialogue, des réponses. Ca m’a sûrement fait du bien et j’ai découvert que psychiatre ne rime pas forcément avec fou.Il y a paraît-il une cellule psychologique, mais je n’ai jamais vu de psychologue à la brigade pour nous aider à digérer tout ça au quotidien.

 

Quel est le rôle du psychiatre, du psychologue, du psychanalyste ?



Le psychiatre, il écoute et aide à faire la part des choses, le psychologue aide à « faire digérer », le psychanalyste, je ne sais pas.
Propos recueillis par Elisabeth Vaussenat-Massyn