Un prêtre catholique

nous l’appelerons Père Pierre.

Père Pierre 62 ans ordonné en 1970 – 35 ans de sacerdoce.

Qu’est-ce que la santé mentale ? De quoi dépend une bonne santé mentale ?

Avoir une bonne faculté de jugement ; savoir prendre de bonnes décisions ; être bien dans sa tête, ne pas avoir trop de problèmes, utiliser son intelligence pour pouvoir organiser correctement sa vie et ne pas avoir eu trop de blocages dans son enfance qui fait que l’on a du mal à y voir clair dans tout ce qui monte en nous et qui perturbe nos facultés d’analyse.

 

Quel autre terme plus approprié choisiriez vous pour désigner la santé mentale ?

Bien-être psychologique

 

A partir de quel moment considérez-vous que quelqu’un n’est plus en bonne santé mentale ?

Quand je sens qu’une personne est tellement prisonnière et enfermée dans les mêmes angoisses et les mêmes peurs, qu’elle se trouve dans l’incapacité de bouger ou la mette dans un malaise existentiel très fort avec des obsessions toujours négatives. Je m’occupe des sourds et je vois que certains reviennent toujours sur les mêmes angoisses. Chez eux, il y a une réduction incroyable du monde et ils ont du mal à avoir des outils d’analyse.

 

Une question que je ne pose jamais – et pour cause -, en confession, vous devez rencontrer cela souvent ?

Je ne suis pas « débordé » par la confession. Ce n’est pas que ça ne se fasse plus ni que c’est passé de mode mais c’est très rare sauf dans des cas d’évènements comme Noël ou Pâques où l’on propose cette démarche de pénitence donc c’est vrai que je n’ai pas l’occasion de la proposer souvent.

Je fais surtout des groupes de paroles à l’occasion des évènements de la vie : mariage, naissance. Je ne suis pas psychologue mais j’ai affaire à cette problématique de l’humain. J’ai eu l’occasion dernièrement de voir un couple totalement fusionnel ; ils n’arrivaient pas à parler, ils se tenaient la main. Je les ai mariés depuis mais c’était d’une tristesse ce mariage…. les deux tribus familiales chacune de son côté et peu d’amis.

J’ai été invité, il y a peu de temps, par un couple qui allait se marier. Le jeune homme était très coincé et il a fallu que j’attende presque une heure pour qu’il dise ce qu’il avait à dire. Il n’avait pas une envie folle de me rencontrer car m’a-t-il dit « je suis athée ».

C’est la jeune femme qui veut se marier à l’église. Ce n’était pas très facile car tous les deux ont du mal à verbaliser. Il fallait les apprivoiser pour les amener à une rencontre avec d’autres couples pour parler du projet, des écueils, des relations avec la belle-famille etc.

 

Comment se pose pour vous la question de la contraception ?

Ils ne me demandent rien donc je n’en parle pas. Je n’en fait pas un problème de conscience.

Aujourd’hui il existe des « moyens » pour avoir un enfant au moment où vous le choisissez et ils trouvent cela parfaitement normal.

Vous comprenez la position de l’Eglise est pour eux difficile à accepter et à vivre…. par exemple, ceux que je prépare au mariage vivent tous en couple, bien avant la cérémonie.Quant à la question de la fécondation in vitro, il faut se poser la question de l’enfant à tout prix. Et que dire de ces cas extrêmes en Italie où on fait faire des enfants à des femmes de 60 ans.

 

Quels sont, selon vous, les problèmes responsables de mauvaise santé mentale les plus importants de notre société ?

Vivre ensemble ; c’est de plus en plus difficile. Prenez une personne qui vit dans une HLM où il y a un bruit énorme, un non respect d’autrui.

Le gars qui se lève à cinq heures du matin et qui entend les bruits du voisin qui a décidé de faire la fête toute la nuit.

Je suis allé voir un copain (prêtre) à Garges les Gonesse dans le diocèse de Pontoise. C’est un autre monde par rapport à Paris. J’ai vu ce bouillonnement et ce brassage incroyable. Il y a les « barbus » qui sont là ! Ils font du prosélytisme et il y a la concurrence avec les Evangélistes. On prie beaucoup plus en banlieue que dans les quartiers de Paris bien nantis. A la messe, même en semaine il y a du monde. Contrairement à une paroisse comme ici (à Paris) où les jeunes brillent par leur rareté !

Je suis allé dans une famille enterrer une jeune fille de vingt ans. Ses copains évangélistes étaient rassemblés pour une veillée de prière.

En fait on s’aperçoit que c’est la religion beaucoup plus pratiquée par les pauvres.

La religion des sectes est envahissante, sans parler des islamistes fondamentalistes qui ne rigolent pas…

Ce qui est inquiétant c’est que l’on a affaire à une population jeune en proie à la violence. Même les propositions de spectacles sont très violentes, très dures.

Tout cela pour dire qu’il y a dans une certaine tranche de population un déséquilibre de vie. On a mis dans les mêmes quartiers les situations de détresse ou conflictuelles.

 

Quels sont les problèmes spécifiques de souffrance psy liée à votre « métier » ?

La solitude affective qui est liée à cette discipline de célibat, ce n’est pas évident à vivre.

Combien de vieux prêtres notamment sont très mal en point et compensent par l’alcoolisme. C’est une grande souffrance de ne pas pouvoir exercer sa sexualité de ne pas avoir d’enfants…. De 35 à 45 ans j’aitrouvé cela très dur.

La sublimation c’est pas facile tous les jours surtout quand elle estimposée….d’où les risques de dérives possibles .

Moi je suis un peu un dinosaure, je bourlingue depuis 35 ans et je connais très mal les jeunes collègues. J’ai été ordonné en 70, j’ai vécu « 68 » très fort. J’ai été rebelle et critique vis-à-vis de l’Eglise et me suis engagé par rapport au message d’amour du Christ.

L’Eglise est aussi une institution humaine et de ce fait a ses fragilités mais on trouve dans l’Eglise des personnes ressources comme Don Helder Camara, par contre il y en a avec qui vous auriez plutôt envie de faire le coup de poing.

Cette solitude entraine chez beaucoup de mes collègues des difficultés relationnelles. On a un discours à tenir et on est en position de force. Mais pour la rencontre un peu vraie avec des personnes,en sachant saisir leurs peurs, leurs attentes, on n’est pas assez formés.

A mon avis, outre un indispensable travail sur soi, c’est la formation à la communication et la formation à l’entretien.

Moi je l’ai acquise, j’ai fait des formations après 68 avec plus ou moins de bonheur car j’aurai pu quitter le ministère.

 

Mais l’assistance aux mourants est-elle une souffrance ?

Pour moi, non, plus maintenant. J’avais très peur de la mort et ce n’est étranger ni à ma vocation ni à cette Lumière que je trouve dans l’Evangile.

J’ai rencontré des gens qui en mourant, avaient une espèce de courage et de sérénité qui ne pouvaient pas être uniquement leur talent et cela a renforcé ma foi dans la présence en nous de quelqu’un qui nous aidait à croire.

J’ai assisté récemment un homme de quatre-vingts ans ; il y avait de la clarté en lui il a communié, il y avait une béatitude que toute sa famille autour de lui disait n’avoir jamais vu une telle paix.

 

Ce doit être tout de même beaucoup plus facile de mourir pour un croyant que pour un athée ?

Non et je n’y vais pas la fleur à la bouche !! De toute façon, je ne dis pas, » je vais sur l’autre rive, IL m’attend ! Alleluia ! Finit ce monde et toute l’éternité on va chanter alléluia !! »

J’aime bien rire, j’aime bien manger ! Je ne peux pas dire comment « ça » va se passer ; contrairement à Busch, je n’ai reçu aucun coup de téléphone pour me dire « Dieu t’attend ! »

Prenez Ste Thérèse de Lisieux, il n’y avait pas plus croyante mais juste avant de mourir elle a eu des doutes affreux.

 

Quels sont les remèdes simples qui pourraient améliorer la souffrance psy liée à votre activité ?

Ce ne serait pas de supprimer le célibat mais d’autoriser des hommes mariés à exercer un sacerdoce, cela limiterait cette espèce de ricanement des psychologues et des psychiatres et ces rapports difficiles à la sexualité alors que je me dis souvent  » Qu’est-ce que tu fais quand tu bénis les mariages, toi à qui on interdit… ! »

Vous le prenez en pleine poire ! Vous êtes invités chez des copains, ils se marient, ils sont là en train de se « papouiller », ils ont des enfants et puis à vous on vous dit  » pour aimer d’avantage Jésus, il faut absolument te castrer…. »

Il y a vraiment une crise grave de recrutement. J’ai rencontré des jeunes qui sont devenus prêtres comme ça.. en allant un jour à Notre Dame. Actuellement si il faut attendre les vocations grâce aux illuminations dans les cathédrales… Avant il y avait une dynamique religieuse de la société, maintenant c’est fini. Maintenant on pointe du doigt le gosse qui va au catéchisme, avant quatre enfants sur cinq y allaient. Le problème reste entier, et on devra faire des réformes dans l’urgence. car la moyenne d’âge des prêtres est de 75 ans !

Par contre dans certains milieux il y a un mouvement religieux extrémiste et sentimental.

Pour l’instant le problème du célibat ne se pose pas pour certains jeunes prêtres pris dans l’action. Mais dix ans après……

C’est à partir du Xème siècle qu’on a décrété que les prêtres seraient choisis parmi les moines. C’était l’époque où l’Eglise était tout feu tout flamme et on a porté en absolu le style de vie monastique correspondant aux trois vœux : pauvreté, obéissance et chasteté.

Ce qui est important c’est de savoir que les trois-quarts des apôtres étaient mariés, à commencer par Pierre, ça ne l’a pas empêché d’être le premier pape !

 

Qu’est-ce qui conduit à la prêtrise ?

Les réponses sont multiples. Moi je suis d’une autre génération ; j’ai été élevé dans une famille croyante mais pas bigote. Je suis l’aîné de six enfants et je suis le seul à être entré dans les Ordres. Tout jeune j’ai pensé à devenir prêtre ; j’étais mystique à l’époque, je priais beaucoup ; je convoquais mes frères et sœurs, je jouais le prêtre ; ça date des années cinquante.

En primaire, je me levais tous les matins pour servir la messe avant d’aller à l’école. C’est en philo où l’aumônier m’a dit : « il faut que tu fasses un choix ».

Le problème du célibat ne se posait pas. Il n’était pas encore question de mixité.

Et puis après avoir lu Camus Sartre, et d’autres j’ai pensé qu’il y avait une réponse chrétienne à toutes ces questions existentielles.

 

Si vous étiez en état de grande souffrance psychologique, qui iriez-vous voir en priorité ?

Vous prêchez pour votre paroisse !! J’irai voir un ami psychologue

 

Quel est le rôle du psychiatre, du psychologue, du psychanalyste ?

Psychologue : c’est un accompagnement psychologique pour celui qui n’a pas un dérèglement trop important.

Psychiatre : c’est pour rectifier dans le cerveau des carences biologiques par des neuroleptiques.

Psychanalyste : c’est pour aider quelqu’un à se retrouver mais sur une longue distance.

Propos recueillis par Natalie Alessandrini-Leroy.