Marie,
Médecin – gynécologue.
Qu’est ce que la santé mentale ?
La santé pour moi ne peut être que physique, le mental est impalpable, et si l’on emploie ce terme, c’est que l’on a une approche a priori . Si une personne consulte un dispensaire d’hygiène mentale ou de santé mentale, c’est qu’elle va mal dans son esprit, ou n’arrive pas à s’intégrer, et qu’il faut la rendre conforme aux normes imposées par la société. Donc, parler de la santé mentale c’est abstrait et subjectif, car il faudrait déjà définir les normes.
A contrario, quelqu’un en bonne santé mentale est quelqu’un d’équilibré, c’est à dire, qui ne subit pas, qui peut analyser et surmonter les épreuves auxquelles il est soumis.
Quelle autre définition donneriez-vous ?
Je mettrais souffrance psychologique et pas mentale, car dans ce terme, il y a une demande d’aide et ce là signifie pour moi maladie mentale.
Constatez vous des problèmes de souffrances psy parmi vos patients ?
Il faut savoir que notre ville, comme beaucoup de villes de province, est sinistrée sur le plan économique. Beaucoup de jeunes sont au chômage et j’ai beaucoup de couples de jeunes chômeurs qui survivent de petits boulots et grâce aux aides sociales.
J’ai aussi pas mal de mères célibataires qui ont toutes » viré leur mec » et qui ne vivent plus chez papa-maman. La plupart du temps elles n’ont pas fait d’IVG car elles y ont pensé trop tard. En général elles font toutes, deux, voire trois ou quatre enfants, elles ne travaillent pas et vivent des aides sociales.
Cela étant, toutes les femmes, jeunes ou non, ont besoin de parler, et pour elles, c’est ce qu’il y a de plus dur ; elles veulent bien se mettre nues pour l’examen gynécologique, mais, parler de leurs problèmes, c’est beaucoup difficile !
Six patientes sur dix dans ma clientèle présentent des troubles psychologiques mineurs à partir de 43 ans, c’est à dire à partir de la pré-ménopause.
Encore faut-il faire une différence entre les citadines et les rurales. Pour ces dernières, la ménopause se passerait plutôt mieux, car en dehors du changement physique, rien n’a changé.
Elles sont bien plus armées, bien plus toniques et elles ne sont pas abasourdies par ce qui leur arrive. Mais pour toutes ces femmes lorsque les enfants partent, elles se retrouvent avec un mari qu’elles ne connaissent plus ; au bout de trente ans le couple n’a plus grand choses à se dire, et elles ont souvent fait abstraction de leur vie de femme.
Elles viennent souvent plus pour parler de leurs problèmes « psy » que de leurs bouffées de chaleur, de leur insomnie, de leur embonpoint, dont, finalement, le mari se moque éperdument.
Leur corps change et elles ne se reconnaissent plus. Il faut donc accepter le regard des autres et en particulier celui du mari qui ne comprend pas, par exemple, que sa femme doit suivre un régime.
Si compréhensif soit-il, lui veut sortir, veut aller au restaurant, bien manger quand il rentre. Elles, elles voudraient retrouver un amant ; pas au niveau physique (rires), mais quelqu’un qui leur refasse la cour. Elles ont besoin de tendresse pour se sentir rassurées.
Beaucoup ont vécu le quotidien au maximum : femmes actives, femmes épouses, toujours sur la brèche, … et si c’est une femme active, elle fait face au travail.
Je pense à une de mes patientes qui travaille dans une banque et à qui on a fait comprendre qu’elle n’était plus présentable au guichet. On l’a donc changée de service, et tout s’est écroulé. En deux mois, elle était devenue une loque.
Donc, elles abandonnent, et elles se sentent de plus en plus seules. Par contre, il y a toujours un élément déclenchant.
Problème avec la bru ou le gendre, décès des parents, naissance des petits enfants. Dans l’ensemble, la plainte que l’on entend est : » je ne veux pas vieillir, je ne veux pas grossir » ; paradoxalement, la sexualité passe après, car elles se sentent culpabilisées d’avoir une baisse de leur libido et elles n’en parlent pas.
Pour presque toutes les femmes, la ménopause n’aurait pas d’importance, si physiquement elles ne changeaient pas, et il faut dire que le THS (traitement hormonal substitutif) a bien amélioré les choses. Moi je vois la différence au bout de cinq ans entre celles qui suivent un THS et celles qui n’en suivent pas. Leur problème principal est qu’elles ne veulent pas écouter leur corps et se conduisent souvent comme des femmes de 20 ou 30 ans.
En gros c’est un mal-être dont elles ne parlent à personne.
Le mari, les enfants, ne veulent pas écouter et le médecin généraliste – pas tous – dit : » ça passera, c’est rien « .
Une patiente ne parlera de ces questions à son médecin que si elle sait qu’elle sera écoutée.
Donc, je les écoute et je les « secoue ». Je donne aussi mon avis car j’estime qu’une femme, à 50 ans, a le droit de vivre. Je ne donne pas de conseils, mais je dédramatise au maximum, et je leur dis qu’elles ont le droit de pleurer, d’envoyer balader » leur mari. Je leur demande de réfléchir et de revenir.
Pourquoi ce mal être ? Quelle réponse y apporter ?
Je ne vois pas de grosses pathologies, mais dans certains cas, j’adresse à ma correspondante psychiatre.
Elle ne leur donne pas de médicaments, elle ne les « enferme » pas dans un diagnostique, elle les voit une ou deux fois, c’est tout. Par contre, je sais que, si on les envoie chez un psychiatre « pur et dur », et en particulier si c’est un homme, elles ne s’en sortent pas. En ce qui me concerne, je prescrit peu de tranquillisants.
Quelle est la différence entre psychiatre et psychologue ?
Le psychiatre, pose un diagnostique, donne des médicaments et c’est tout.
Le psychologue prend le temps et donne sa « chance » au patient.
Le psychanalyste, je ne sais pas ce que c’est. Pour moi c’est flou, j’ai l’impression qu’on y va pour se » décortiquer » pour le plaisir ; à tout prendre, je préfère le curé (rires).
Si vous étiez en état de grande souffrance psychologique, qui iriez vous voir en priorité ?
Si je disjonctais, je n’irais certainement pas voir un psychiatre.
Quels sont les problèmes spécifiques à votre profession qui peuvent mettre en péril la santé mentale ?
C’est fatiguant ce métier et éprouvant surtout quand on est confronté au cancer. Je repense à une de mes jeunes patientes qui avait une trentaine d’années et à qui j’ai découvert un cancer du sein.
Elle m’a dit, en apprenant le diagnostic : » mais docteur je ne veux pas mourir « .
Toutes les deux, nous nous sommes regardées et nous avions des larmes dans les yeux.
Quand elle a été opérée, je lui ait fait envoyer des fleurs, et je n’ai plus eu de nouvelles.