Directrice d’école

ROSE 53 ans – Directrice d’école maternelle

Qu’est ce que la santé mentale ?


C’est l’aptitude à supporter les vicissitudes de la vie et les contraintes.

Quels sont, selon vous, les problèmes responsables de mauvaise santé mentale les plus importants de notre société ?


Bien entendu le stress lié au travail., mais je crois que c’est purement individuel, certains ne supportent pas par exemple de vivre en ville.

Bien sûr il y a des problèmes actuels de stress, de pauvreté. Il y a un monde entre les riches et les pauvres ; les événements de New York en sont l’illustration. Nous les petits on se sent impuissants. On finit par accepter.

Constatez vous des problèmes de souffrances psy ? parmi vos collaborateurs, vos collègues?


Je suis directrice d’une école maternelle de quatre classes et j’assure la classe des plus petits, cela me laisse du temps l’après midi pour régler les problèmes administratifs.

J’observe de très gros problèmes chez les collègues. Dans mon école un jeune homme a été recruté alors qu’il n’a qu’une licence de maths.

Il vient de rater son CAPES et se trouvait sur liste complémentaire, c’est-à-dire sur liste d’attente – les moins mauvais de ceux qui ont échoué – Il a également passé, et raté, le concours de l’IUFM.

On les recrute donc indifféremment pour le primaire ou la maternelle. Il a 24 ans, il est inapte, les gosses ne le respectent pas, ils se fichent de lui… des gosses de grande section, ils ont cinq ans !

Il est à mi-temps chez moi et à mi-temps dans une autre école.

La grande section en maternelle est importante car l’année suivante les enfants vont aller en cours préparatoire. Donc si le talent de faire passer l’enseignement n’est pas là, les enfants au bout d’un certain temps vont se mettre à “ « gigoter ».

Ils ne s’intéressent pas, donc ils font autre chose et pour l’enseignant, c’est un échec de tous les instants.

On a besoin de tant d’instits qu’on en envoie un certain nombre au « casse-pipe » sans entretien de motivation, sans formation.

Bien sûr la conseillère pédagogique vient le voir mais finalement elle l’enfonce plutôt qu’autre chose.

Dans la fonction publique on peut être totalement incompétent et rester à son poste. Les enseignants qui craquent sont monnaie courante. C’est une souffrance inouïe d’être chahuté, c’est la pire des choses. Quand on débute on a des mauvais moments, mais si on est apte à apprendre à apprendre – ce qui n’est pas donné à tout le monde – la moitié du chemin est fait. Le problème c’est lorsque les gens sont peu sûrs d’eux mêmes et mal dans leur peau.

…… c’est vrai que l’Education nationale reproduit à l’infini le rapport maître/élève et c’est ridicule.

Or quand ils sont hospitalisés en hôpital psychiatrique ils ne pensent qu’à une chose c’est reprendre la classe ! Au cours de ma carrière je n’ai connu que très très peu de gens qui ont été virés de l’enseignement.

Certains sont mis à la porte quand ils ne sont pas titulaires, par contre quand ils le sont, impossible de s’en débarrasser.
On se demande quelles peuvent être les motivations à être enseignant quand on est mal dans sa peau. C’est criminel que les laisser faire ce métier.

Certains enseignants en difficulté arrivent à exprimer leurs difficultés à l’équipe mais certains se renferment et affirment que tout va bien. C’est le cas de ce jeune homme.

A la suite de la visite des conseillers pédagogique il m’a dit “ tout va bien, sans problèmes !

Par hasard je l’ai rencontré en dehors de l’école. Il était échoué, seul, sur un banc, hébété.

Que va t il arriver ? Il va se tirer une balle ou quoi ?

Sa collègue à mi-temps venait par gentillesse une demi-journée par semaine pour l’aider. Mais elle a déclaré forfait et elle a cessé parce que la conseillère pédagogique a dit qu’il fallait qu’il se prenne en main…..

En tant que directrice je n’ai aucun pouvoir, L’inspectrice n’a aucun pouvoir, elle peut seulement donner son avis. Je n’ai en plus aucun pouvoir de faire quoi que ce soit.

Partout c’est la même chose, le chef d’établissement ne peut rien faire. J’ai connu des professeurs de collège qui relevaient de la psychiatrie et qu’on ne déplaçait pas.
Ce garçon veut être prof de maths, mais dans un collège il sera exterminé par les élèves au bout de vingt minutes.

Comment fait-on pour supporter trente enfants ?

Il faut y croire, aimer les gamins, travailler en équipe, être soutenu par elle et être aidé par son inspectrice.
Moi je les supporte bien, mais lorsqu’il y a des cas pathologiques c’est là que ça devient compliqué. La classe est foutue s’il y a deux ou trois cas psy.

Dans mon école il y a un enfant psychotique, il se traîne par terre, il hurle, il tape dès qu’on essaie de lui faire faire un travail ou si on le contrarie.

Il tape sur sa maîtresse, toute la journée, il fait des piles de livres ; c’est impossible à gérer.

La psychologue scolaire vient de revenir après un long arrêt de travail. On va essayer de le faire prendre en charge par le CMPP – centre médico psycho pédagogique – au moins deux matinées. L’année prochaine on espère qu’il ira dans un hôpital de jour ou dans un centre spécialisé mais il n’y a pas de places. Les parents ont nié jusqu’à présent le fait que leur enfant était malade.

Quels sont les “ clignotants “ qui vous alertent ?


Nous on se connaît bien et on n’est pas nombreux. On essaie toujours de soulager une collègue quand on voit qu’elle est en difficulté mais dans un collège ou un lycée il n’y a aucune aide psychologique.

On se demande quelles peuvent être les motivations à être enseignant quand on est mal dans sa peau.

Ce qui me choque c’est que les parents se déchargent totalement sur l’école.

J’ai l’exemple d’une collègue qui travaille à mi-temps, elle a deux enfants dans mon école, son petit garçon de trois ans est manifestement malade, il tousse sans arrêt, il a des cernes, bref, il ne va pas bien.

J’ai demandé à la mère de le reprendre l’après midi, elle a refusé prétextant qu’elle avait des “ engagements “. Elle le met également au centre aéré, finalement il avait une bronchiolite.

Les mamans n’ont plus le temps de s’occuper de leurs enfants ; entre le bridge et la piscine elles sont très occupées, et celles qui ne travaillent pas n’ont qu’une idée c’est mettre leurs enfants à la cantine, au dortoir. A trois ans faire plus de neuf heures de présence ; huit heures/dix huit heures – c’est monstrueux.

En fait la maternelle à deux ans n’est pas nécessaire, qui plus est, il vaudrait mieux l’éviter. Bientôt on scolarisera des bébés !

J’en ai trente dans ma classe dont treize de deux ans. On a beau faire des grèves pour la diminution des effectifs rien ne se fait.

Dans les années à venir on va avoir besoin d’énormément d’enseignants, et il y a un bruit qui court selon lequel la grande section de crèche viendrait à l’école maternelle. Je me demande si la grande section maternelle n’ira pas à l’école primaire.

La maternelle deviendrait alors une super crèche. Les indices concordent. Le ministère voudrait un grand directeur pour plusieurs écoles, c’est infaisable. Nous sommes trop sollicités ; il y a une multitude de problèmes à régler dans l’instant et sur le terrain.

Claude Allègre mettait les pieds dans le plat, certes de manière un peu abrupte mais on savait ce qu’il pensait et il avait un projet. Jack Lang, son projet c’était Jack Lang ; il était certainement déçu d’être où il était.

Il ne faisait rien, donc il n’y avait plus de grève.

Les syndicats ne s’en rendent même pas compte. Nous sommes des mammouths, il ne faut jamais rien changer. Un exemple très criant : les compléments du mi-temps où l’enseignant n’est pas titulaire. Pendant deux ans de suite, le jour de la pré-rentrée on m’a envoyé une jeune femme enceinte jusqu’aux yeux qui a assuré quinze jours de travail !
Et comme elle n’était pas vraiment en congé maternité mais en congé maladie on nous a envoyé une remplaçante courte durée une ZIL – zone intervention limitée (à quinze jours maximum) ! Donc, nous avons eu quinze jours la femme enceinte, quinze jours une ZIL et ensuite le jeune homme incompétent. C’est ça l’Education nationale.

Depuis vingt ans on a quand même changé nos méthodes de travail mais cela dépend de l’inspectrice.

Quand j’ai débuté, on faisait faire aux enfants de jolis objets, on chantait et c’était la mode de laisser les enfants faire ce qu’ils voulaient. Maintenant on a un programme, une progression à respecter, des évaluations à faire.

Moi je refuse à faire des livrets d’évaluation pour les deux ans. A quoi ça rime ! les enfants n’évoluent pas tous de la même manière à cet âge.

Quelles améliorations pourrait on apporter ?


Avant de laisser une personne entrer dans l’enseignement, un entretien de motivation approfondi serait nécessaire.

Aux États Unis dans les écoles les plus chics et les plus chères on recrute sur le savoir-faire et sur le savoir être, pas sur le CV. Or la plupart des inspecteurs, s’ils sont compétents sur les matières laissent s’enferrer les enseignants.

Ce qu’il faut bien comprendre c’est qu’il y a beaucoup de copinages, de cancans et parfois il faut remonter jusqu’à l’inspecteur d’Académie quand les inspectrices prennent un malin plaisir à démolir les gens.
Dans les CCPE, Par exemple elles sont odieuses avec les parents qui se retrouvent devant un véritable tribunal alors qu’ils ont à supporter le poids d’un enfant handicapé.

Personne n’a de pouvoir tout en ayant. J’ai le seul pouvoir de me taper tous les emmerdements administratifs, faire des statistiques, recevoir les récriminations de tout le monde mais je n’ai même pas le pouvoir de procéder à une éviction. Si on me tape dessus , je peux me plaindre mais quel recours ai-je, si je ne suis pas entendue ?

L’inspecteur départemental a le pouvoir de me mettre des notes et de faire un rapport ; avant il fallait rédiger un peu, maintenant c’est comme le loto, on coche des cases.

En tant que directrice je peux défendre une collègue mais je ne peux pas faire revenir l’inspectrice sur sa note, sauf s’il y a bagarre avec les syndicats, là j’ai mon mot à dire, mais je ne suis pas apte à juger mes pairs.

J’ai une collègue, seule avec quatre enfants, qui boit sur l’heure du déjeuner, lorsqu’elle revient, elle sent le vin, elle ricane, en conseil d’école avec les parents, elle ne sort que des conneries.

Je lui ai dit discrètement, mais que faire ?

J’avais une collègue qui avait une maladie neurologique grave ; elle était diminuée physiquement et intellectuellement. Or, elle enseignait depuis quinze ans et c’était dramatique.

Elle tremblait, elle avait des mouvements incontrôlés, elle faisait pleurer les enfants. L’inspectrice est venue et elle l’a descendue comme si c’était quelqu’un jouissant de toutes ses facultés. Elle lui a enlevé des points. Elle aurait dû être mise en longue maladie.

J’avais une autre collègue qui était carrément cruelle avec les enfants. A des petits de trois ans, quand ils ne se levaient pas assez vite elle retirait la chaise. Quand les parents se plaignaient – il s’agissait là de gens simples – elle les culpabilisait.

En plus elle était obèse et s’asseyait devant les enfants en écartant les jambes et elle se plaignait qu’ils ne soient pas attentifs. J’ai fini par lui dire “ ferme tes cuisses, ça ira peut être mieux ! “. Elle hurlait, elle secouait les enfants et j’ai fini par écrire que je craignais le pire.

L’inspectrice a voulu la faire passer devant une commission médicale mais il faut savoir que maintenant tout le monde est apte pour les commissions psychiatriques.

Elle a obligé un enfant- handicapé en plus – qui avait craché par terre à lécher son crachat, puis elle l’a enfermé dans un placard et elle l’a oublié…..

Quand les parents sont venus, ils l’ont retrouvé dedans et là tout de même ça été trop. Il y a eu plainte. Cette femme aurait dû être virée purement et simplement. Elle a été mise à pied pour six mois mais actuellement elle doit sévir dans un autre établissement.

J’ai connu un directeur d’établissement qui obligeait les élèves à ramasser avec la langue ce qu’ils mettaient par terre, du papier toilette par exemple. Dans une entreprise c’est le licenciement immédiat pour faute grave avec mesure conservatoire.

Mais on n’a pas de pouvoir du tout. J’ai eu moi-même des problèmes avec un élève et une mère d’élève. L’enfant était très agressif, il me traitait de putain, il écrasait les pieds de sa mère qui ne disait rien. Il avait le droit de tout faire, il sautait sur les autres comme une bête sauvage. Il avait été viré de la crèche, du jamais vu… J’ai tenu un an. L’instit qui l’a récupéré l’année suivante, n’a pas tenu deux mois.
Selon l’inspectrice il y avait “ incompatibilités d’humeur “.

Par la suite, j’ai été convoquée à la brigade des mineurs. Il semble qu’il y avait eu un problème d’inceste familial.

Des notes dépendent notre avancement et notre paye, elle porte sur les compétences et comme on est prévenu à l’avance, sur la manière de vendre “ sa camelote “.

Nous sommes une profession où l’on peut jouir d’une très grande indépendance. Nous sommes inspectés tous les trois ou quatre ans – moins dans le secondaire – et l’avancement, c’est de l’argent en plus ; les notes donnent des échelons et c’est presque soixante quinze ou cent cinquante euros par mois en plus.

A l’ancienneté on peut attendre dix ans, C’est aussi une manière d’être reconnu mais c’est vrai que l’Education nationale reproduit à l’infini le rapport maître/élève et c’est ridicule.
Je ne ferai jamais le travail d’inspectrice. On est coincé entre l’inspecteur d’Académie, les syndicats et les enseignants.

Si vous étiez en état de grande souffrance psychologique, qui iriez vous voir en priorité ?

Peut être un psy ou bien je chercherais la solitude pour faire le ménage dans ma tête et dans ma vie.

Propos recueillis par Nataline Alessandrini-Leroy.