Hôtesse de l’air

SÉGOLENE – 32 ans – hôtesse de l’air

Quand vous entendez l’expression SANTE MENTALE qu’est ce que cela évoque pour vous ? Qu’est ce que la santé mentale ?


L’équilibre dans le sens être bien dans sa peau et dans sa tête et surtout l’équilibre entre sa vie professionnelle et personnelle.

Il faut se préserver par rapport au travail et ne pas tout donner sinon ça bouffe la vie. Nous quand on descend de la passerelle c’est fini.

Quels sont, selon vous, les problèmes responsables de mauvaise santé mentale les plus importants de notre société ?


Le stress. Au nom de la productivité on est pressé comme un citron. Dès que l’on arrive sur le marché du travail. Quand on débute c’est l’angoisse de ne pas trouver un job et après il faut être performant, être rentable.

Quels sont les problèmes spécifiques à votre profession qui peuvent mettre en péril la santé mentale ?


Je suis hôtesse navigante depuis sept ans et je me sens bien dans mon travail jusqu’à présent. J’aime mon métier mais c’est un métier où l’on doit prendre beaucoup sur soi. par exemple, pendant les vols longs courriers.

Si on est réveillé pendant notre temps de repos. Il faut vraiment se faire violence psychologiquement et physiquement ; à ce moment là, si on nous donnait notre feuille de démission, on la signerait. C’est une torture.

Sur un vol de huit heures on a une heure et demi de repos en couchette, sur un vol de douze heures c’est trois heures. Il faut se faire violence pour se lever.

Sur un 747 on est quinze. C’est un métier où il faut être toujours au top. On se donne à fond pour les passagers qui attendent un certain comportement.

Le plus dur ce sont les courts et moyens courriers. Il y a une fatigue qui s’installe. J’ai moi-même été victime de cette fatigue – j’ai fait une brutale chute de tension -.

On est continuellement sollicité car c’est une clientèle difficile – les costards-cravate -, les hommes d’affaires qui ne veulent pas être en retard alors que le propre de l’aviation actuellement c’est le retard. Les hôtesses n’y peuvent rien et nous sommes traitées de connes.

Il y a de plus en plus de comportements agressifs. En plus on n’a pas le temps de manger, bien souvent nous prenons notre repas assises sur un coin d’armoire en métal ou en une dizaine de minutes car les femmes de ménage sont là

Dès que l’avion, atterrit on débarque, le ménage arrive, si c’est l’heure de manger, on mange et hop on réembarque.

Une fois sur un AIRBUS 320, l’embarquement s’est fait alors que j’étais en train de manger, je tournais le dos aux passagers avec mon plateau dans les mains.

Une fois il ne s’est pas écoulé 12mn. Une autre fois, j’ai failli être tabassée par un passager en manque de tabac sur un vol long courrier. Deux passagers m’ont prêté main forte. Les vols non fumeurs ont suscité d’étranges comportements.

C’est un métier où on est continuellement en action. En fin de vol tout le monde est très énervé ; moi je m’en sors en faisant le clown.

Il faut l’humour et la gentillesse, l’esprit d’équipe, l’adaptabilité aux collègues puisqu’en fait, on ne vole jamais avec les mêmes personnes.

Généralement on s’entend très bien avec les autres filles ; avec les hommes il y assez souvent un glissement vers autre chose en raison de cette camaraderie instantanée obligatoire. Avant les anciens partaient pour trois semaines ensemble ; il s’en passait de « belles ».

Par contre, sans motivation pour ce métier il ne faut pas le faire.

J’ai le souvenir d’une jeune femme qui, à chaque fois qu’elle repassait dans l’office derrière le rideau disait : “ putain, font chier ces cons !!...” et cela, même si le passager lui avait demandé un simple verre d’eau. J’ai dû lui expliquer qu’il fallait qu’elle abandonne très vite ce métier.

Ce boulot c’est aimer la notion de service et faire plaisir aux autres. Christian Blanc disait que c’est un métier que tout le monde peut faire.

C’est totalement faux. Et notre hiérarchie l’a bien regretté car à un certain moment, la direction a fait un recrutement par l’ANPE, et ce, à la suite d’un arrangement avec le 93 et 95. Le deal était : nous prenons des jeunes chômeurs du 93 et du 95 en échange de la tranquillité avec les riverains par rapport à la création des deux dernières pistes de Roissy !! Ils ne sont pas restés longtemps.

On nous bourre le crâne avec certaines notions et ils ont embauché des gens qui n’avaient pas les bases de la plus élémentaire éducation.

Constatez-vous des problèmes de souffrances psy parmi vos collaborateurs, vos collègues ? Quels sont les “ clignotants “ qui vous alertent ?


Sur long courrier, on rencontre parmi le personnel de bord des gens un peu perdus car on est perpétuellement en décalage, en manque de sommeil et on ne récupère jamais.

On perd la mémoire et la plupart des navigants font au moins une dépression dans leur vie. Moi cela m’est arrivé l’année dernière. Je n’étais pas bien dans ma tête à cette époque.

On ne fait que quatre vols par mois en long courrier. Je vais faire prochainement le plus long du réseau – quatorze heures trente – sur Santiago du Chili avec trois services !!

Donc le programme est le suivant : service, tour de repos, tour de garde, service, tour de repos, tour de garde, service. Il paraît qu’on est cassé à l’arrivée ; ce sont deux vols en un.

Les passagers pensent qu’ils sont seuls dans l’avion. Ce sont des demandes légitimes mais ils veulent tout, tout de suite.

Il y a ceux qui sont pris de panique pendant la descente ou dans les turbulences, soixante dix pour cent des gens ont peur en avion et ça va de la petite appréhension à la crise d’hystérie.

Il y a un travail fou. Un service dure trois heures entre l’apéritif et le café après ça se calme, on prend nos temps de repos et nos tours de garde consistent à faire une inspection tous les quarts d’heure.
Nous avons sept jours de repos consécutifs. Les anciens vous disent que leur sommeil est très perturbé.

Si on fait le LOS ANGELES c’est neuf heures de décalage, on reste trois jours, on revient sur Paris trois jours, et on repart dans l’autre sens le Japon plus neuf heures. Sur mes sept jours j’ai été vaseuse trois jours et malheureusement seul un médecin extérieur à la Compagnie peut vous mettre en arrêt de travail mais nous n’avons pas de soutien psy non plus sauf en cas de gros problèmes. Là il y a une cellule de crise.. Les crashes à répétition comme en (2001) ça été dur.

J’ai fait une crise d’angoisse et je suis allée voir mon instructeur ; la seule réponse que j’ai eu a été « mon petit si vous n’êtes pas bien vous arrêtez le boulot…. ».

Il n’y a pas une grande compréhension de notre travail et peu reconnu par les « rampants ».

Après le crash du Concorde il y a eu beaucoup de démission et après le 11 septembre beaucoup d’arrêt de travail. J’ai revolé le 12 au soir !

On nous a fait un briefing et tout s’est bien passé sauf que j’ai eu une attaque de panique au moment du tour de garde en pénétrant, dans le noir de la cabine. Ça a réveillé en moi une angoisse d’enfance, quand on descend à la cave et que l’on se dit que le croquemitaine va vous sauter dessus.

Par contre c’est le regard des gens a changé.

Avant c’était plutôt du style « vous êtes hôtesse de l’air, alors vous voyagez beaucoup ! », maintenant c’est, « et vous n’avez pas peur ? »

Les premières victimes des attentats ce sont les membres l’équipage. On vit avec ce risque mais on n’y pense pas, car au décollage et à l’atterrissage on est pris par des choses concrètes à faire.

Il y a des gens par contre qui ont arrêté car tout à coup ils ont eu peur de ce risque omniprésent dans l’inconscient renforcé quand on est chargé de famille. Et puis il y a le risque d’accident bête dans la cabine. Il faut savoir qu’une voiture chargée, plateaux, bouteilles, fait soixante dix kilos.
Sur un vol Fort de France dernièrement sept membres de l’équipage ont été blessés.

Une turbulence sévère, tout le monde s’est retrouvé au plafond. C’est la raison pour laquelle nous sommes obligés d’avoir une assurance « perte de licence ». J’avais longtemps tergiversé jusqu’au jour où deux voitures sont arrivées à trente centimètres de mes pieds suite à une forte turbulence.

On peut aussi très vite perdre son métier suite à une perte d’audition. Il faut faire très attention à une otite, un rhume. Il ne faut pas être malade en vol car finalement on est tout le temps debout. Notre espérance de vie est réduite de dix ans en moyenne paraît-il.

Nous prenons notre retraite à cinquante ans. Maintenant beaucoup d’hôtesses volent à temps partiel. Le must c’est un mois sur deux, à soixante deux pour cent, un mois sur trois etc…

C’est un métier qui permet de vivre en province par exemple. On a un forfait par mois de soixante quinze heures de vol mais les heures commencent quand les moteurs tournent.

Si on reste trois heures au sol avec les passagers ce n’est pas compté. Il y a vingt ans les escales étaient sans doute trop longues, les filles avaient des vies de princesses maintenant la vis a été serrée. Financièrement ce n’est pas reconnu qu’on peut se crasher. Bientôt ça ne vaudra plus le coup de faire ce métier.

Depuis 1996, les salaires ont baissé de vingt deux pour cent et une jeune hôtesse débute à un peu plus de mille quatre cents euros bruts plus les primes.

Il y a un sacrifice de vie privée et de santé.
Nous n’avons pas une vie de camaraderie permanente comme dans un autre métier car on ne revoie jamais les gens avec qui on a bossé ou alors un ou deux ans après.

Cela nécessite donc une vie privée très riche.

Notre vie professionnelle est somme toute, assez artificielle. Les beaux hôtels et le restaurant tous les jours. Parmi nous il y a beaucoup de gens paumés et seuls, en particulier sur les longs courriers. Les horaires sont plus normaux sur les moyens courriers bien qu’il faille se lever à quatre heure du matin et on rentre le soir très fatigué. On peut enchaîner deux vols dans la journée.

Paris-Porto-Paris puis Stuttgart allez retour et là, on est ratatiné. Dans une population très jeune il n’est pas rare de voir des crises de tétanie, des chutes de tension, une fatigue physique intense avec nausées par exemple au bout de trente d’heures d’éveil.. Par contre extérieurement, à 45 ans on donne le change car on est obligé d’avoir une très grande hygiène de vie, régime, sport, activités culturelle.

A l’école de formation d’hôtesses, une monitrice nous avait mis en garde « faites attention ce métier vous met le cerveau en sauce blanche ». Il s’installe une paresse due à la fatigue et au manque de sommeil. Avant on partait trois semaines en faisant des sauts de puce. On pouvait faire Paris, Istanbul, Bombay, Bangkok. Le personnel navigant de l’époque travaillait différemment. Maintenant on nous a ratiboisé trois jours. Avant,par exemple, on faisait Paris-Los Angeles et on avait trois jours de repos plus sept jours, maintenant ces trois jours sont compris dans les sept jours. Dans les vols sur l’ex Air inter c’est beaucoup plus cool, il n’y a presque pas de service.
C’est finalement un métier très physique qui nécessite une adaptabilité très rapide et de la patience.

Si vous étiez en état de grande souffrance psychologique, qui iriez-vous voir en priorité ?


Quand j’ai été confrontée à ce problème, j’ai la chance d’avoir pu en parler à qui voulait m’entendre après j’ai vu mon médecin et il m’a dit que si ça n’allait pas mieux il fallait que je voie un psy. De toute façon je n’ai aucun à priori sur les psy.

Quel est le rôle du psychiatre, du psychologue, du psychanalyste ?


Psychiatre ? qui cherche profondément, qui cherche des choses très enterrées, il soigne des choses plus graves, des maladies très profondes

Psychologue ? qui s’intéresse au quotidien quand ce n’est pas trop grave, un dérèglement de la pensée.

Psychanalyste ? c’est le divan, il complète le travail du psychiatre

Par contre si on a la chance de n’en voir aucun ou de ne pas en avoir besoin, c’est encore mieux.

Propos recueillis par Nataline Alessandrini-Leroy.