Exploitants agricoles en basse Normandie depuis, respectivement, 1984 et 1988, 40 et 37 ans
Quand vous entendez l’expression SANTÉ MENTALE qu’est ce que cela évoque pour vous ? Qu’est ce que la santé mentale ?
La santé mentale se traduit par un comportement positif ou négatif pour appréhender le quotidien.
Quels sont les problèmes spécifiques à votre profession qui peuvent mettre en péril la santé mentale ?
Nous sommes issus tous les deux de cinq générations d’agriculteurs, en Normandie. Nous exploitons cent hectares en céréales, nous sommes donc une exploitation moyenne. C’est ce qu’il faut pour vivre et encore, tout dépend de ce que l’on cultive.
En période normale nous travaillons de sept heures moins le quart le matin à sept heures et demi le soir – douze heures par jour -, et en période de moisson, on se lève à quatre heures le matin pour soigner les vaches.
Dans notre métier il est très difficile d’embaucher car il existe trop de contraintes. D’abord, on ne trouve pas de main d’œuvre qualifiée, ensuite il faudrait que la personne soit polyvalente, moitié élevage moitié culture, enfin dans l’année on alterne les périodes de pointe et de morte saison ou de saison humide durant lesquelles on ne saurait pas quoi lui donner à faire et en plus avec les trente cinq heures c’est très difficile à organiser.
On arrive juste à partir un peu car on a un vacher qualifié au niveau de la traite.
Toutes ces professions ont été bannies parce que ce sont des métiers très durs et mal rémunérés et les jeunes sont partis ailleurs.
L’effectif des lycées agricoles a été divisé de moitié. Certains secteurs de l’environnement sont en train de se développer mais nul ne sait quels seront les débouchés.
Les jeunes ne sont pas prêts à se coller quinze ans d’emprunt pour une très faible rémunération.
La viande a descendu de un demi euro et quand vous additionnez les frais financiers un jeune qui démarre suivant qu’il est propriétaire ou locataire le revenu pour vivre peut varier de zéro euro voire moins ( !) à un peu plus de treize mille euros.
Nous les dix premières années nous avons vécu avec moins que le SMIC, neuf cents euros par mois pour nous deux. Maintenant avec les quotas tout est cadré dès le démarrage, donc si le revenu n’est pas suffisant les jeunes se lasseront.
Nos problèmes sont très liés au patrimoine car on y est trop attaché, c’est spécifique au monde agricole. C’est la terre on l’a dans le cœur.
Tout ce qu’on nous fait subir me révolte (Roméo)et il y a une grande souffrance psychologique liée presque essentiellement aux questions économiques. Quand je me suis installé on vendait le blé 18/19 euros le quintal aujourd’hui il est à 10/11 euros.
Ils ont mis une compensation en face mais depuis 1992 elle baisse continuellement. Les marges rétrécissent d’autant. Cette année (en 2001) les rendements ont descendu de dix ou quinze quintaux à cause l’humidité.
A la fin de l’exercice on aura perdu trente pour cent de notre revenu. Alors la souffrance c’est se dire que l’on a des échéanciers à honorer et un revenu en baisse.
Le système administratif et les contrôles, les contrôles de contrôles à tous les niveaux.
Il y a des moments où on est à saturation et je ne parle pas des contrôles qualité et environnementaux qui sont devenus de pire en pire.
L’opinion publique, les médias font peser la pollution sur les agriculteurs alors que nous faisons de la très haute qualité pendant que la grande distribution achète des vaches au Brésil à 1.50 euros du kilo pour casser les prix, personne ne leur dit rien.
A nous on demande des labels de toutes sortes alors qu’au-dessus de nous c’est la grosse magouille parce qu’il y a un business financier et politique dans la grande distribution.
En ce moment on brade les veaux bientôt il faudra les donner. La viande rouge a augmenté alors que pour nous elle a diminué de 0.60/0.80 centimes d’euro du kilo.
On est dans un système où on nous tape dessus ; les coopératives qui devraient nous défendre ne sont même pas capables de nous donner un prix avant la récolte. On est la dernière roue du carrosse.
Nos parents ont créé des coopératives pour mieux acheter et vendre, faire des groupements d’achats ; maintenant elles fusionnent toutes et on ne négocie plus le prix, il est imposé. On arrive avec nos céréales et on ne connaît même pas le prix.
En plus il y a tout les problèmes montés en épingle par les médias : les OGM ce n’est pas si mal car ça peut éviter du désherbage agressif mais à long terme, c’est vrai qu’on ne sait rien.
A part ça c’est un peu dommage d’avoir arraché des cultures expérimentales car il faut bien faire des recherches et si on n’avait pas fait d’essais il y a cinquante ans pour les médicaments on serait encore au Moyen âge.
On fait bien venir du soja des US, nos vaches elles en mangent, 90% du soja est avec OGM.
La fièvre aphteuse ! Nos parents et nos grands-parents soignaient les animaux ; pour le lait on se demande où il sera traité car dans l’Orne on n’a plus grand chose comme industrie.
On a été les victimes des vendeurs de farine en qui on avait confiance.
Constatez-vous des problèmes de souffrances psy ? Parmi vos collaborateurs, vos collègues ; quels sont les “ clignotants “ qui vous alertent ?
Nous sommes chacun dans un groupe, culture et production laitière et on côtoie beaucoup de gens.
Dans notre milieu on parle peu des problèmes psy. Les gens ont du mal à s’ouvrir car comme on est dans un contexte de concurrence entre voisins il ne faut rien montrer de ses faiblesses.
Parfois on constate un repli sur soi ou de l’agressivité verbale et, dans l’ensemble, un peu d’alcoolisme. Autour de nous on connaît quelque cas de tentatives de suicides.
Ce n’est pas évident d’étaler ses misères (Roméo).
Quand on se retrouve entre nous on s’aperçoit que tout le monde a toujours les mêmes problèmes mais il est vrai que tout dépend des conditions de démarrage et des choix de vie.
Nous notre objectif était de nous ouvrir sur autre chose en se donnant du temps. Aujourd’hui on a quinze ans derrière nous et on s’aperçoit qu’on est bloqué pour plusieurs raisons : les quota laitiers, l’agrandissement des structures est réglementé dans un cadre par rapport à la surface et au nombre de litres de lait.
On ne peut pas produire plus sinon on est pénalisé. Il existe une politique nationale et départementale. Dans les commissions il y a même des gens hors profession.
Nous sommes dans un carcan administratif et dans un système proche du communisme. Nous nous en sommes aperçus après avoir discuté avec des agriculteurs polonais. Nous avons acquis un capital pour avoir des revenus et celui-ci a perdu quarante pour cent. L’Etat a pris 30% de notre capital par l’intermédiaire des subventions qui sont données.
Aujourd’hui on ne peut pas dire que nous sommes des gros pollueurs, c’est vrai qu’il existe ceux qui pour faire pousser une plante vont mettre 200 u d’azote alors que la plante en a besoin de 120 unités.
Nous, nous essayons d’étudier toute la vie de la plante et de ses besoins pour ne pas polluer le sous-sol.
Je suis d’accord qu’il faut sensibiliser les agriculteurs mais on s’aperçoit qu’on se sert de ça pour nous bloquer. Par contre, on est bien content de trouver des surfaces d’épandage pour les stations d’épuration urbaines, on est en train d’en mettre le triple à l’hectare et c’est nous qu’on accuse d’être des pollueurs.
Qui respecte la nature ? Il faut penser à nos enfants et à ce qu’on va leur laisser.
Si vous étiez en état de grande souffrance psychologique, qui iriez vous voir en priorité ?
Nous avons eu un passage difficile. J’étais un peu plus solide (Juliette) mais il y a eu de gros ennuis familiaux au niveau de la séparation du patrimoine de Roméo.
Nous nous sommes soutenus mutuellement, ce qui lui a permis de prendre la vie différemment.
Ce n’est pas évident d’étaler ses misères (Roméo). Moi (Juliette) mes amies agricultrices me font part de beaucoup de choses. On aurait tendance à se confier à des gens hors de notre profession. On n’a pas recours au médecin car je me mets à sa place, c’est pas marrant ce métier, alors c’est pas la peine d’en rajouter.
Bien sûr si j’arrivais en pleurant il ferait peut-être quelque chose mais ça dépend de son emploi du temps, et je ne suis pas sûre qu’ils sont capables de mesurer la gravité. De toute façon, nous, les arrêts de maladie ça n’existe pas.
Quand on est dans un état dépressif, est-on est capable de faire la démarche ; c’est souvent l’entourage qui s’en rend compte.
On a fait la démarche auprès d’un psy pour notre fille qui avait un petit problème à l’école.
Quel est le rôle du psychiatre, du psychologue, du psychanalyste ?
On n’en connaît pas ;
Psychiatre ? quand c’est plus compliqué,
Psychologue ? comprendre une situation et essayer de la débloquer,
Psychanalyste ? une autre méthode d’écoute