DRH Start-up

JOAQUIM – DRH d’une start-up – 28 ans

Qu’évoque pour vous l’expression SANTÉ MENTALE ?

Tout le monde peut s’en occuper au quotidien ; c’est de la psychologie basique. Le champ est très large et on ne sait pas qui peut s’en charger.

Moi je suis directeur des ressources humaines – DRH – et ma formation est assez rigolote.

J’ai fait un mastère des ressources humaines, et une école de commerce. On nous donne un enseignement basique en psycho, une approche un peu vaseuse – la TPNL ou l’analyse transactionnelle – bref des trucs un peu fumeux, qui permettent de catégoriser, mais dont on admet que c’est construit sur du sable.

Dans la pratique quotidienne de l’entreprise, ça règle quatre-vingts pour cent des problèmes, et on a besoin en fait, que de ça.

On doit classer des gens « à la truelle ». Notre formation est une sorte de salade russe, après c’est un choix personnel.

Finalement quelle que soit la méthode, ça marche !. J’ai des copains DRH qui utilisent l’astrologie, la numérologie, la morphopsychologie. Moi, j’utilise l’entretien.

Par contre, on ne m’a pas appris à me cuirasser, à me durcir. Ceux qui arrivent, ce sont ceux qui tiennent le coup, mais on ne nous a pas appris à gérer notre stress. Donc pour moi la santé mentale, c’est l’équilibre psychologique : être sain mentalement. A contrario celui ou celle qui va se faire soigner dans un dispensaire de santé mentale, c’est quelqu’un qui souffre d’une maladie psychiatrique.

En fait, c’est le terme santé qui me gêne. J’ai l’impression que ça distingue deux populations. Il y aurait ceux qui sont en bonne santé mentale, et les autres non.

Or la mauvaise santé mentale, c’est à partir du moment où il y a excès dans la communication ou un comportement inhabituel, ou si l’on pleure à tout bout de champ.

Quels sont, selon vous, les problèmes responsables de mauvaise santé mentale les plus importants de notre société ?


La pression extérieure : l’image prédéterminée par l’entreprise, et ce que l’on est en réalité, bref le décalage entre, ce que l’on croit être, et ce que la société vous renvoie et vous fait miroiter comme modèle d’identification.

Quels sont les problèmes spécifiques à votre profession qui peuvent mettre en péril la santé mentale ?

Je suis DRH donc je m’occupe du recrutement, de la formation, du « coatching », et licenciements ; avec le « refus d’embauche », c’est sans nul doute le plus gros stress lié à mon poste.

Je suis aussi « le bureau des pleurs », puisque je suis le bureau dit, des « ressources humaines ».

Je dois traiter les rémunérations, les problèmes relationnels avec les chefs de service, ceux qui veulent partir – qu’il faut retenir -, donc gérer le chantage à la rémunération, le stress des managers : « J’ai une équipe de nuls…Comment je vais faire avec celui-là, il faut m’en débarrasser……et untel s’il n’est pas augmenté il va partir….et s’il part comment je vais faire….. ».

Il y a également à gérer le changement de bureau, par exemple : « Machin tu vas aller dans le bureau d’en face [à trois mètres cinquante !] ».

Que n’ai-je pas dit là ! Ca représente des heures de discussion et de négociation. Alors que la moyenne d’âge des salariés est de 27 ans – les plus jeunes en ont 20 et les plus vieux 38 -, ils sont vissés à leur siège.

Ils ont décoré leur ordinateur, ils ont mis une peluche dessus, des posters au mur ; le pote est à coté, donc ils ne veulent pas bouger.

C’est vrai que nous avons des problèmes de places. On a dû caser cent quatre-vingts personnes dans des bureaux prévus pour cent, et cet environnement génère du stress.

Or, nos contraintes sont des contraintes de projets et d’objectifs, et pour que ceux-ci aboutissent, il faut mettre les gens sur le même site.

Donc ce ne sont plus les potes avec qui on va devoir travailler, mais des collègues. Pour faire passer qu’Untel doit travailler avec Untel, ou qu’il va partager un espace de deux mètres carrés, il faut y aller au « chausse-pied ».

Cela signifie, en fait, que le collègue en question va partager les secrets de votre vie privée, qu’il va enlever ses chaussures pour travailler ou qu’il va régler la « clim » sur 12°.

Tous ces problèmes arrivent dans mon bureau ; je n’avais jamais imaginé devoir régler cela. Les problèmes relationnels et la peluche sur le PC on va m’en parler pendant des semaines.

Il y a une relation affective avec l’ordinateur, le fond d’écran, les fichiers. Donc il faut déplacer la personne ET son ordinateur. Il faut que je gomme tout ce qui peut parasiter et créer du stress.

Avant j’ai travaillé dans une administration et j’ai eu affaire à des gens qui travaillaient dos à dos depuis 15 ans.

Mon travail a consisté à les faire travailler face à face ; on en a parlé pendant 2 ans !
Le DRH doit aussi gérer les temps de pause, de décompression tout en restant rigoureux sur les objectifs.

Viennent immédiatement après – ou en parallèle – les problèmes pécuniaires. On a beau répéter que l’on est une start-up, qu’on est jeunes et dynamiques, on a sa peluche sur son PC, et on est là avant tout pour gagner sa vie.

Donc, du jour au lendemain, quelle que soit l’ambiance, si la rémunération est plus élevée ailleurs, on s’en va, car tout le monde connaît le salaire de tout le monde.

Je dois donc gérer cela et avancer les critères d’évaluation et de la prime en fonction du travail de chacun. Je dois justifier en permanence, donner des preuves. Mais comment évalue- t on que l’on a bien ou mal bossé, si on s’est beaucoup investit ?

Ils sont presque tous de jeunes célibataires et préfèrent les heures supplémentaires au temps libre. Ils peuvent passer quinze heures au bureau, être présents de 10h à 21h30.

Après on va au café avec les copains et puis on revient au bureau pour « finir un truc ». C’est presque le prolongement de la fac. Heureusement les chefs de service qui, eux, sont chargés de famille, servent de modérateurs.

Mais les autres, au bout d’un certain temps ne tiennent plus car ils sont trop fatigués. Six mois à bosser comme des ânes y compris le week-end, car ils n’ont pas trouvé une autre activité…On a dû interdire l’accès au bureau le week-end, sinon on brise le capital humain et la plupart des arrêts de maladie sont causés par la fatigue.

En plus l’entreprise est cotée en Bourse et il faut respecter des objectifs par forcément raisonnables.

Les managers et leur équipe se doivent de les atteindre et passer soixante pour cent de leur temps à gérer la cadence. Dans un service de cent personnes un manager doit aussi consacrer vingt cinq pour cent de son temps à quelques personnes qui ont des problèmes personnels ou relationnels et qu’il faut « coatcher « en permanence.

Nous n’avons aucun relais psy extérieur. C’est au DRH et au manager de gérer cela.

Cela dit,concernant le recrutement je ne sais pas trop à quoi sert un psychologue puisque certains utilisent l’astrologie pour se rassurer « je peux me tromper, mais pas les astres ! ». Malheureusement c’est souvent faux et de toute façon, il faut des gens calibrés pour un certain travail.

Moi, je suis pris en étau entre la direction générale qui ne pense qu’au bénéfice.

Il y a quelque temps, on m’a dit qu’il y avait dix pour cent de personnes en trop ! On a commencé avec cinquante personnes, on est trois cents aujourd’hui et l’année prochaine on sera… le double….le triple… ou plus.

J’ai donc recruté « à l’aveugle » et maintenant on est trop, donc je dois licencier, ou plutôt faire en sorte que l’on démissionne.

On demande au manager de faire d’établir des listes pour les « charrettes ». Et là commence l’enfer.

Il y a des personnes qui sont venues spécialement en région parisienne pour travailler chez nous. Il y a donc le manager d’un coté, qui a une prime en fonction des résultats, mais qui va devoir couper les branches en trop sans se préoccuper des dégâts ; seul le fonctionnement de l’entreprise compte.

De l’autre côté il y a ceux qui refusent de faire ces listes : « Si vous virez ceux là, vous me virez aussi… ». C’est vrai que virer dix pour cent de l’effectif, génère un pognon fou ; je préfère ne pas vous dire les bénéfices que l’on fait.

Par contre, pour le reste du personnel ça la fout mal et par ailleurs, la direction générale n’avouera ensuite jamais qu’elle s’est trompée dans ses prévisions.

Moi, je dois, non pas licencier, puisque l’entreprise aurait les prud’hommes sur le dos, mais convaincre les gens de partir.

L’année prochaine on va doubler et on recrutera à nouveau. En « licenciant » on va faire des économies sur deux mois, et ça va améliorer la marge nette d’un demi point, donc le cours de l’action va monter. Je rigole quand on dit qu’on n’est pas une entreprise comme les autres ; oui on peut venir bosser en jean, c’est génial, mais fondamentalement, on fonctionne comme une entreprise traditionnelle cotée en Bourse.
On n’envisage même pas de mobilité interne alors que normalement on devrait évaluer les potentiels. Le mot licenciement n’est jamais prononcé par personne. Je dois convaincre Untel qu’il doit partir pour son bien… !. On emploi des techniques sauvages. On trouve le point faible et on appuie dessus. Exemple : je devais licencier un garçon qui envisageait d’acheter un appartement à crédit sur vingt cinq ans, avec sa copine ; on savait qu’il n’était pas « chaud » car c’était surtout le souhait de sa copine.

On lui a fait miroiter que s’il était au chômage, il se trouverait ipso facto libéré de tout ça car son crédit serait refusé. Je lui ai dit : « Si tu trouves du boulot ailleurs, mieux payé – car ici tu ne seras pas augmenté – le problème est réglé ». Le pauvre mec nous a remerciés !

Donc voilà une des méthodes. L’autre consiste à lui faire comprendre que s’il ne démissionne pas il va se retrouver dans un placard.

En fait, on jette les gens comme des kleenex. Cela dit, on fait aussi de l’out placement. Notre structure emploie des gens très divers : designer, ingénieurs, consultants stratégie marketing, qui sont des gens très difficiles à faire travailler ensemble. On ne retrouve cette structure nulle part ailleurs. Dans les cinq ans, on va se stabiliser à 2000 personnes et de toute façon, il faut que l’on arrive en vitesse de croisière car on est encore en ce moment en période de doute.
Il y a un énorme marché et nous faisons des marges monstrueuses car on apporte à de gros clients une aide et une plus-value très importante sur leurs projets.

Actuellement il y a cinquante ou soixante boites qui font la même chose, deux tiers seulement vont subsister.
Cela dit, je pense que si l’on continue à procéder de cette manière on va créer une peur malsaine.

Tous les trimestres on est, ou non, assuré de la pérennité de son emploi et ça c’est très mauvais. Le mauvais calcul de nos dirigeants, c’est de considérer, non pas le potentiel des gens, mais leur coût et de se dire que toute le monde est remplaçable ; c’est faux à court terme.

Constatez-vous des problèmes de souffrances psy parmi vos collaborateurs, vos collègues ? Quels sont les « clignotants » qui vous alertent ?

A ma connaissance personne ne prend de tranquillisants et il n’y a pas d’alcoolos. Certains font la fête. Ils font des soirées et là ils se matraquent la tête à l’américaine. On m’a raconté que dans certaines soirées, au bout de dix minutes ils sont bourrés comme des coings et couchés par terre.

Ils peuvent même ravager un appartement comme des sauvages. Des séances comme çà peuvent casser les relations d’un service. Je sais aussi que le vendredi soir ça picole sec au café du coin.

Si vous étiez en état de grande souffrance psychologique, qui iriez- vous voir en priorité ?


J’irais voir un bon pro, mais de toute façon un médecin, psychiatre ou psychanalyste. Le psychologue c’est de la rigolade – je suis psychologue -…

Quel est le rôle du psychiatre, du psychologue, du psychanalyste ?


Le psychiatre ? C’est plutôt le suivi de pathologies en milieu hospitalier et la délivrance de médicaments.

Le psychologue ? C’est plutôt une qualité humaine qu’un savoir. Moi je fais acte de psychologie tous les jours, je suis payé pour ça. La psycho peut être un recours à la rigueur dans des cas de solitude, mais un curé, un marabout, un voyant, un lieu de paroles quelconque peuvent aussi bien faire l’affaire.
Le psychanalyste ? Il gère les mêmes situations mais plus légères. A mon avis il doit être médecin, s’il y a nécessité de médicaments. A vrai dire je ne sais pas si un psychanalyste est diplômé de quelque chose….

Propos recueillis par Nataline Alessandrini-Leroy.